Quoi de plus de provocateur que la pratique artistique de Petr Davydtchenko pour rediscuter les stéréotypies sémiotiques et les inquiétudes culturelles de notre société consumériste, exploitant, de manière massive et industriellement aseptisée, la transformation de l’animal en viande ? Jeune artiste d’origine russe, Petr Davydtchenko paraît contrecarrer ce système, non pas en se révoltant contre lui mais en se mettant en toute continuité à sa marge, pour dévoiler ainsi les mailles contradictoires de normes et de comportements sociaux, moraux et politiques. Adaptant son régime alimentaire sur les animaux qu’il trouve morts le long de la route, il modèle sa vie sur cette pratique et façonne les œuvres de sa dernière exposition au Palazzo Luccarini à Trevi (Pérouse) avec ce qui reste de ces animaux : images-vidéo des cadavres retrouvés, peaux traitées en sculptures, archivage systématique de ses découvertes de corps, chairs cuisinées pour les visiteurs de l’expo. En plus de ses déclarations esthétiques, cette contribution examinera le langage visuel mis en œuvre et les registres émotionnels et cognitifs qu’il arrive à activer : du dégoût à l’empathie, de la défense animaliste à l’appropriation quasiment morbide et violente des corps sans vie, de la redécouverte d’anciennes pratiques rurales (le chasseur-cueilleur) au geste, paradoxalement au seuil de la légalité, exhibant l’animalité de l’homme. L’analyse visera, d’une part, à situer l’œuvre par rapport au cadre historico-artistique de la postmodernité (esthétiques de l’abject, de l’anthropophagie, de l’animalité) et à la réactivation des legs de mouvements historicisés (abstraction géométrique, minimalisme, actionnisme et performance filmée). D’autre part, elle montrera comment, d’un point de vue sémiotique, l’œuvre joue sur la juxtaposition des contraires, sur la dénégation des valeurs antinomiques, mais aussi sur l’impact émotif, voire le choc sensible, pour s’incruster subrepticement dans l’imaginaire de l’observateur, au-delà de sa position éthique.
Réanimer la viande, redevenir animal : Petr Davydtchenko / Caliandro, Stefania. - STAMPA. - (2024), pp. 135-144.
Réanimer la viande, redevenir animal : Petr Davydtchenko
Caliandro, Stefania
2024-01-01
Abstract
Quoi de plus de provocateur que la pratique artistique de Petr Davydtchenko pour rediscuter les stéréotypies sémiotiques et les inquiétudes culturelles de notre société consumériste, exploitant, de manière massive et industriellement aseptisée, la transformation de l’animal en viande ? Jeune artiste d’origine russe, Petr Davydtchenko paraît contrecarrer ce système, non pas en se révoltant contre lui mais en se mettant en toute continuité à sa marge, pour dévoiler ainsi les mailles contradictoires de normes et de comportements sociaux, moraux et politiques. Adaptant son régime alimentaire sur les animaux qu’il trouve morts le long de la route, il modèle sa vie sur cette pratique et façonne les œuvres de sa dernière exposition au Palazzo Luccarini à Trevi (Pérouse) avec ce qui reste de ces animaux : images-vidéo des cadavres retrouvés, peaux traitées en sculptures, archivage systématique de ses découvertes de corps, chairs cuisinées pour les visiteurs de l’expo. En plus de ses déclarations esthétiques, cette contribution examinera le langage visuel mis en œuvre et les registres émotionnels et cognitifs qu’il arrive à activer : du dégoût à l’empathie, de la défense animaliste à l’appropriation quasiment morbide et violente des corps sans vie, de la redécouverte d’anciennes pratiques rurales (le chasseur-cueilleur) au geste, paradoxalement au seuil de la légalité, exhibant l’animalité de l’homme. L’analyse visera, d’une part, à situer l’œuvre par rapport au cadre historico-artistique de la postmodernité (esthétiques de l’abject, de l’anthropophagie, de l’animalité) et à la réactivation des legs de mouvements historicisés (abstraction géométrique, minimalisme, actionnisme et performance filmée). D’autre part, elle montrera comment, d’un point de vue sémiotique, l’œuvre joue sur la juxtaposition des contraires, sur la dénégation des valeurs antinomiques, mais aussi sur l’impact émotif, voire le choc sensible, pour s’incruster subrepticement dans l’imaginaire de l’observateur, au-delà de sa position éthique.File | Dimensione | Formato | |
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